La canne à grains de Gaston Huchet

L’Esclop – Bulletin de l’Association Girondine des Amis des Moulins – Juillet 2018

« Gaston La Canne »

On pourrait croire à une célèbre rubrique de SPIROU, mais c’était bien avant

Gaston Huchet, au Moulin de Reguignon à Marcillac en Gironde, est né quelques années avant la guerre de 1870, dans une famille de meuniers. Il avait pour mission, confiée par son père Jacques et sa mère Marie, de faire fructifier l’entreprise familiale qui nourrissait à ce moment-là une bonne dizaine de bouches. Il y parvint totalement et ainsi trois générations ont pu lui succéder dans le moulin de Reguignon.

La farine qui sortait des cylindres neufs de la minoterie construite par les frères Gaston et Arthur Huchet en 1908, sur les fondations de quatre moulins à eau équipés jusque là de meules de pierre, devait être de qualité irréprochable pour conserver une clientèle déjà difficile à fidéliser.

De la bonne farine certes, mais encore fallait-il que le blé le permette. Gaston achetait son blé localement. Il constituait son stock avec des blés d’échange, négociés en culture. La récolte se faisait soit dans les marais, soit entre les rangs de vignes des environs. Les rendements étaient faibles, la qualité imprévisible, et les quantité produites n’amenaient donc aux paysans locaux, qu’une modeste source de revenu complémentaire. Il était nécessaire et indispensable de bien acheter pour tenter de faire des assemblages cohérents.

Ces blés d’échange, moissonnés par le paysan, moulus par le meunier et amenés en farine chez le boulanger, revenaient en fin de cycle, transformés en pain, chez le paysan.
Tout est là! Le paysan espère faire une bonne vente , Gaston, le meunier va essayer d’acheter le meilleur au prix le plus bas. Il va livrer au boulanger ce qu’il dit être le rendement maximum et le boulanger restituera au paysan la quantité crédible de pain.

Nous avons ici entre le meunier et le boulanger la meilleure illustration de la façon dont est née la « part des anges » !

Jean-Marie Huchet présente la canne à grain de son arrière grand-père Gaston

Jean-Marie Huchet présente la canne à grain de son arrière grand-père Gaston

Gaston, lorsqu’il arrive à la ferme avec sa canne, commence par repérer l’endroit où le blé est stocké. Il regarde, entre dans la grange ou le grenier, voit si les sacs d’environ soixante dix à quatre vingts kilo sont tous rangés sur une ligne pour être accessibles, gueule ouverte, et en bon état. Son odorat lui donne déjà une idée de ce qui l’attend. Il croque quelques grains et essaie de deviner quel sac sera le plus représentatif de l’achat à venir. C’est à ce moment qu’il dévérouille sa canne constituée de deux tubes creux pivotant l’un dans l’autre, et ouverts en trois endroits. Il la plonge dans le sac en question puis la referme en ayant prélevés des échantillons à trois niveaux différents. Chacune des trois alvéoles est prévue pour emmagasiner environ mille grains de blé. Tout cela va dépendre de la qualité du grain qui sera plus ou moins propre, plus ou moins sec. Il sait qu’il a prélevé dans chaque cavité entre 25 et 50 grammes de blé.

Il reviendra au moulin avec ses échantillons. Il videra sa canne sur le sous-main de son bureau, et après avoir écarté le cendrier qui déborde en permanence, et bien repoussé sa caquette en arrière, il utilisera alors son pèse-grains.

Les cours de la Bourse, le marché local et la qualité de ce qu’il vient d’analyser lui permettront de déterminer, le prix qu’il va proposer au paysan.

Pour l’avoir vécu quelques décennies plus tard, cette offre est le maximum proposé par le meunier qui dit ne rien gagner au paysan qui dit avoir travaillé pour rien !

Pendant toute sa vie de meunier Gaston Huchet n’a pas quitté sa canne. C’est la compagne de tous ses achats de grain. Objet d’art en laiton rutilant dont la poignée est faite d’un bois de cervidé, cette sonde a été plongée régulièrement dans les sacs de grains pour en retirer bien des composants autre que du blé, comme : des petits escargots, de la paille, des cailloux , des écrous de batteuse et bien d’autres choses encore.

Elle se repose aujourd’hui d’avoir fouillé de nombreuses granges et greniers. Les visiteurs peuvent parfois la voir au moulin de Reguignon sur ces lieux qu’elle a permis, par son élégance et son efficacité de faire perdurer.

Gaston sans sa canne, c’était aussi peu probable que Cléopâtre sans son nez !

Jean-Marie Huchet